Jacques Rapoport, Président de Réseau Ferré de France (RFF), futur président délégué de SNCF

9 décembre 2014 | Actualités du ferroviaire

Quelle est la situation financière de RFF et quelles sont les perspectives pour « SNCF Réseau » ?

La situation financière de RFF est difficile. Non parce que nos recettes commerciales sont insuffisantes pour couvrir nos charges de fonctionnement mais parce que nos investissements ne sont pas financés par des subventions publiques. S’il est logique que le contribuable finance les investissements d’entretien et de modernisation du réseau, en France, cet investissement est aujourd’hui financé par l’endettement.

La dette de RFF atteint 36 milliards d’euros (dont 10 milliards de dette publique au sens de Maastricht) après un nouvel accroissement de 3 milliards en 2014. Or, cette année, nos investissements ont atteint 7 milliards d’euros, ce qui veut dire que 43 % de ces dépenses ont été financées par l’endettement. La dette de RFF est en réalité une dette de l’Etat externalisée (elle représente 1,5% du PIB français). Dans les faits la dette traduit une politique d’investissement de l’Etat très volontariste.

La nouvelle loi ferroviaire est de nature à assainir cette situation financière. Elle instaure d’une part un garde-fou avec une règle d’or : passé un certain niveau d’endettement (qui doit être précisé par la prochaine « loi Macron » sur l’activité), SNCF Réseau ne pourra plus financer de lignes nouvelles. Elle prévoit d’autre part un allègement de l’endettement grâce aux gains de productivité découlant de la meilleure intégration entre la direction de la circulation ferroviaire (DCF), SNCF Infra et RFF et au reversement à SNCF Réseau des dividendes versés à l’Etat par SNCF Mobilités. La contrainte financière s’en trouvera de ce fait allégée d’un milliard d’euros (2 x 500 millions) sur cinq ans. La dette de SNCF Réseau devrait se stabiliser vers 2020.

Quant aux perspectives d’accroissement des recettes, elles sont faibles à court terme car SNCF Mobilités ne va pas accroître son trafic. Il ne faut pas non plus se bercer d’illusion. Le prix des sillons n’augmentera pas plus vite que l’inflation. A moyen terme, en revanche, l’amélioration du réseau devrait favoriser une augmentation du trafic tandis que l’amélioration de la gestion du patrimoine ferroviaire (emprise foncière et immobilière), désormais réunifiée dans l’EPIC de tête, engendrera des revenus supplémentaires.

La réforme ne changera pas l’allocation et la propriété du patrimoine ferroviaire mais pour plus d’efficacité un seul gestionnaire gèrera le patrimoine des deux EPIC filles. Les recettes annuelles du foncier, héritées du XIXe siècle, rapportent actuellement de l’ordre de 300 millions d’euros par an. Je suis confiant. Cette activité deviendra stratégique.

Comment gérez-vous la difficile équation du fret ferroviaire ?

Nos revenus fret ont beaucoup baissé depuis 2009 du fait de l’effondrement des subventions publiques, passées de 900 millions d’euros en 2009 à 100 millions d’euros par an. L’Etat ne devrait plus verser, à compter de 2016, de compensation au prix du sillon, ce qui devrait se traduire
par une hausse de 6,27% des péages fret. Mais je tiens à préciser que le coût du sillon fret (en train/kilomètre) en France est très inférieur à ce qui se pratique en Allemagne : 1,80 € contre 4 €.

Ces chiffres, je sais, sont contestés. Il nous faudra regarder cela de plus prêt et pour cela utiliser les mêmes éléments de comparaison. Sur les 8 milliards d’euros de coûts du réseau, 7 milliards sont générés par le trafic voyageurs et 1 milliard par le fret. Sur ce milliard, les péages acquittés par les opérateurs fret représentent seulement 140 millions d’euros (hors subventions). Ce qui veut dire que le fret est « subventionné » à 86%, une centaine de millions par subvention directe et 750 millions par de la dette. Le voyageur est aussi subventionné car l’activité n’est couverte qu’à 90/95% par des recettes.

La situation du fret devrait s’améliorer lorsque nous aurons mené à bien les nombreux travaux d’entretien et de modernisation du réseau qui se font essentiellement de nuit et nuisent, de ce fait, à la qualité des sillons fret, notamment sur les trajets longs. Il nous faut également trouver les solutions pour rénover le réseau capillaire qui est un enjeu crucial pour le transport des céréales et des produits de carrières. Les lignes sont en fin de vie et on peut envisager d’en transférer la gestion à d’autres opérateurs soumis à des référentiels moins exigeant que les nôtres.

La gouvernance instaurée par la loi ferroviaire garantit-elle l’indépendance du gestionnaire de réseau ?

Tout d’abord, j’entends beaucoup de critiques concernant l’Epic de tête SNCF. Son rôle serait flou. Je m’inscris en faux avec cette perception. Il doit définir la stratégie économique d’ensemble du système ferroviaire public ; il doit veiller à la cohérence des systèmes rail-roue, les interfaces sol-bord prenant de plus en plus d’importance du fait des nouvelles technologies ; enfin, il doit assurer l’unité sociale des personnels.

J’entends aussi que l’Epic de tête serait doté d’effectifs pléthoriques. Sur les 9 000 personnes prévues, 3 000 relèvent de la Suge (surveillance générale de la sécurité) ; 3 000 s’occupent de la gestion du personnel, ce qui est très complexe quand il s’agit de personnel roulant ; 1 000 personnes gèrent les systèmes informatiques ; 1 500 personnes représentent les services généraux (juridique, communication, achats, immobilier…). Restent 400 personnes pour le pilotage opérationnel de cet Epic de tête, alors que les 8 500 autres relèvent du pilotage mutualisé des trois Epic.

Quant à la gouvernance proprement dite, elle garantit une totale indépendance au gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau car l’Epic de tête n’a aucune possibilité d’imposer au réseau des décisions dont il ne voudrait pas. A côté du conseil de surveillance, largement dans la main de l’Etat, le directoire est composé d’un président (président de SNCF Mobilités) et d’un président délégué (président de SNCF Réseau) sans aucune prépondérance de l’un ou de l’autre. Et sur le fait que le patron de l’opérateur soit président en titre, ce choix s’inscrit dans une pure logique de service à la clientèle, essentiellement assuré par SNCF Mobilités (30 milliards d’euros de chiffre d’affaires contre 6 milliards pour SNCF Réseau).

S’agissant du dossier social, l’action la plus difficile consistera à mettre en place un cadre social harmonisé dans la perspective de l’ouverture à la concurrence. Là, il s’agira de passer d’un système à dominante réglementaire (constitué de décrets) à un système à dominante contractuelle (convention collective). Mais nous avons pour cela du temps et la possibilité de prévoir des accords d’entreprise plus favorables que la convention collective de branche.

Entretien publié le 9 décembre 2014
Crédits photo : Peter Allan.

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